Krise und Kritik der Warengesellschaft |
Exit 18: Éditorial, lettre ouverte et appel aux donsEn 2020, année du Coronavirus, le processus de crise s'est intensifié. La pandémie a frappé en plein cœur le capitalisme en crise. L'effet est particulièrement dramatique sur les systèmes de santé brisés et soumis au diktat économique, mais encore plus dans les régions où les populations se retrouvent totalement sans défense contre le virus et les conséquences des mesures prises dans le cadre de la « lutte contre la pandémie ». En outre, le Coronavirus n'est pas apparu dans le monde par hasard, mais il est directement lié à la domination capitaliste de la nature. Concernant l'apparition de la pandémie, il y aurait beaucoup à dire sur ce que l'on appelle la zoonose, une infection qui peut être transmise à l'homme par les animaux. Avec la progression de la crise du capitalisme, il devient de plus en plus difficile - malgré toute la « rhétorique écologique » - de protéger la nature et les animaux du processus de valorisation, et donc de la destruction par le capital. Le capital perdant de plus en plus sa substance, la pression augmente pour soumettre encore davantage les fondements naturels de la vie au processus de valorisation. La production industrielle de viande, le commerce d'animaux sauvages, la destruction des espèces et de la forêt tropicale, etc. favorisent la transmission virale. Les couloirs mondialisés du commerce et du voyage en assurent la propagation. Dans les centres occidentaux, le virus rencontre des démocraties qui ont tout misé sur l’effort de remettre sur pied l'accumulation du capital en difficulté et de combattre les effets sociaux de la crise - incarnés par ce « matériel humain superflu » pour la valorisation du capital qui, outre les socialement déclassé.es, comprend surtout les migrant.es -, par des mesures autoritaires-répressives, allant jusqu'à l'état d'urgence démocratiquement légitimé. A cet égard, les mesures adoptées contre le Coronavirus coïncident avec le passage du pôle libéral au pôle autoritaire de la socialisation démocratique-capitaliste. Or les mesures anti-Covid se distinguent - malgré des critiques justifiées dans certains cas (incohérence partielle des mesures, minimisation des « dommages collatéraux »1, etc.) - des habituels « schèmes de réaction » autoritaires, d'une part parce que le virus n'est pas un fantôme mais une réalité dangereuse, d'autre part parce qu'elles visent - contrairement à l'habitude - à protéger des personnes et des groupes menacés qui, comme les malades et les personnes âgées, représentent du capital humain qui n'est pas (ou plus) valorisable. Cela n'a cependant rien à voir avec une soudaine illumination humanitaire des gouvernements, mais avec le fait que pour maintenir le fonctionnement du système, il faut continuer à travailler et à consommer (dans le second « confinement », en gardant les enfants dans les crèches et les écoles), tandis que les restrictions dans les espaces privés ainsi que dans la gastronomie, l'événementiel et la culture sont censés ralentir le virus et protéger le système de santé contre la surcharge (les capacités du « système de santé compétitif » étant apparemment considérées comme des « constantes naturelles »). De fait, la pandémie entraîne le renforcement de certaines tendances, entre autres de ce qu’on appelle la numérisation, dont les agitateurs et les idéologues justificateurs promettent qu’elle sera la solution à tous les problèmes. Les jérémiades concernant l'échec de l'éducation, en particulier celle des enfants socialement défavorisés, sont des prétextes pour défendre l'« urgence » particulière de la numérisation. On peut d'autant plus faire de la nécessité une vertu. Le durcissement de l'état d'urgence permet une répétition générale de l'après-Covid. Cela vaut également pour les contours émergents d'une politique de santé autoritaire, qui visera à rendre la société de plus en plus résiliente, flexible et tolérante aux risques sanitaires futurs. Il s'agit d'une politique d'immunisation contre les crises prévisibles (changement climatique anthropique, paupérisation sociale de masse, etc.) acceptées comme des fatalités contre lesquelles la seule solution sera de prendre des mesures de protection. Dans le cadre de la primauté de la résilience préventive, tout ce qui encourage la pandémie et alimente les futures épidémies d'infection peut alors se poursuivre selon les processus familiers de la crise : domination de la nature, élevage industriel et valorisation des animaux, mondialisation et mobilité pour la production et le commerce, etc., le tout sous la domination abstraite de la fin en soi capitaliste irrationnelle. Il faut préserver cette dernière à n'importe quel prix - même si c'est totalement illusoire. Dans ce contexte, il sera possible de s’appuyer sur ce qu’on aura appliqué en toute bonne conscience pendant la crise du Coronavirus pour établir un état d'urgence permanent. Ainsi, la restriction des droits fondamentaux se justifiera par des mesures de politique de santé. C'est « l'heure de l'exécutif ».2 Mais il faut se souvenir qu'une pandémie n'était nullement nécessaire au renforcement permanent de l'appareil sécuritaire par le biais des lois de police, de la surveillance par caméra de l'ensemble du territoire (Stasi 2.03), etc.4 La transformation de la « démocratie libérale » en État policier brutal, dans lequel la police peut faire ce qu'elle veut grâce à des pouvoirs toujours plus étendus, est la possibilité et le cœur de la démocratie bourgeoise elle-même. Afin de « faire face » à n'importe quel problème, les gens ont souvent été prêts à tout sacrifier à la « sécurité ». La sécurité est, après tout, un « droit super fondamental », comme l’a déclaré l'ancien ministre fédéral de l'intérieur Hans-Peter Friedrich en 2013. La démocratie rend son noyau répressif visible à travers sa « gestion des contradictions ». Lorsque des émeutes éclatent, qui ne représentent souvent que des débordements sans contenu (comme à Stuttgart en juin5), elles ne sont pas perçues comme une expression de l'irrationalité et de l'absurdité de la « normalité » bourgeoise elle-même. Dans un contexte d’irréflexion fondamentale, de telles flambées de violence sont accueillies avec indignation : on est « scandalisé » et « choqué ». La violence policière, en revanche, est jugée tout à fait différemment. Elle est « justifiée » et « nécessaire », voire « proportionnée ». En outre, l'État se doit de réprimer durement la « résistance au pouvoir de l'État ».6 Cela est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de faire respecter la « propriété privée » : à cette fin, 1500 policiers peuvent être mobilisés pour « déloger » une vingtaine de personnes (!) d'un squat (Berlin, Liebigstraße 347). Le « bon usage » des droits fondamentaux dans le « meilleur des mondes » consiste précisément à affirmer l'« existant » de manière convenable et bien élevée. Tout débat sur la violence lors des manifestations et des protestations est complètement dénué de sens si la violence « légitime » ou légitimée de la police est transfigurée en « État de droit » et que les rapports de pouvoir et de domination, le racisme, les inégalités sociales, la pénurie de logements, etc. sont tenus en dehors du débat. Le fait que la société bourgeoise elle-même est profondément violente dans son « fonctionnement normal », par l'exclusion sociale et le racisme entre autres, est occulté dans les « débats » hypocrites sur la violence, ou externalisé : le racisme peut effectivement constituer un problème aux États-Unis, mais en Allemagne, il n'y aurait que des « cas individuels ». Quelle absurdité que dans ce pays, personne n'ait su se reconnaître en Donald Trump quand il voulait qualifier les Antifa d’organisation terroriste8 et se conformait par là à la doctrine d’État de la RFA (théorie de l'extrémisme, anti-anti-fascisme9)10. Le croque-mitaine est toujours l'autre. L'effort que la RFA et ses organes de répression (même le MAD11 s'en occupe) font pour mettre la main sur les activistes du détournement ironique d’affiches de publicités12 est grotesque. La frénésie de persécution à leur encontre, en contraste avec la volonté boiteuse de démanteler les réseaux d'extrême droite au sein de la police et de la Bundeswehr (NSU .0.213, Hannibal14, Nordkreuz15, etc.), montre une fois de plus où se situent les priorités des « autorités chargées de la sécurité »16. L'application du deux poids, deux mesures est également une pratique habituelle : alors que les manifestations d’extrême-droite peuvent se dérouler sans grandes difficultés, malgré des violations de la réglementation, comme la « Corona-Demo17 » fin octobre à Berlin, les manifestations de gauche sont violemment réprimées, comme celle d'Ingelheim, un rassemblement contre le parti nazi « Die Rechte ».18 La maxime est : « Celui qui s'oppose aux nazis ne rencontrera jamais un policier sympathique ». Le diable sait pourquoi. Ici non plus, il ne s’agit de « cas exceptionnels ». L'ennemi est à gauche et c'est exactement comme cela que les antifascistes sont traités par la police : en tant qu'ennemis, pour lesquels la logique de la « loi et de l'ordre » se concrétise par le gaz poivre et la matraque. Le traitement des réfugiés montre en quoi consistent finalement les « valeurs démocratiques ».19 Fascistes et démocrates sont d'accord sur ce point. La seule différence est que les dignes démocrates s'imposent un voile d'humanité, à travers lequel ils pensent ensuite pouvoir critiquer les positions racistes de l'AfD, ce qui ne les empêche pas de faire finalement ce qu'ils accusent idéologiquement l'AfD de vouloir. La chair dont ils se détournent en apparence est la leur. Ils sont finalement rattrapés par leur propre ombre refoulée et incomprise. C'est la société bourgeoise elle-même qui crée son prétendu contraire. Aujourd'hui, les mesures anti-Covid ne restent pas incontestées. Mais ce ne sont pas les objections contre les conséquences sociales et psychologiques ou les critiques contre la paupérisation du système de santé qui s’avèrent les plus audibles20, mais plutôt les « Hygiene-Demos » des « Querdenker »21 à caractère rouge-brun et à l'idéologie conspirationniste.22 Le fait que ces manifestations aient connu un large écho est également lié à cette nouveauté que le fameux mainstream, le « centre éclairé de la société », glisse de plus en plus vers la droite. Cela se manifeste d'une part par des discours racistes (AfD, Pediga), qui visent à « repousser les frontières de l’indicible » (Gauland23). Tactique qui a manifestement réussi, si l'on considère, par exemple, que Die Zeit24, en 2018, a débattu très sérieusement des « pour » et des « contre » le secours aux réfugiés. La droite est là où se trouve le centre, peut-on formuler avec Kurt Lenk.25 D'autre part, il y a depuis longtemps un certain nombre d'essayistes qui font de la crise un enjeu de propagande réactionnaire. Leurs best-sellers se multiplient. Ainsi se paye l'ignorance de la gauche, qui ne veut rien savoir de l' « effondrement de la modernisation26 », de la « borne interne », de la « critique catégorielle » et de la théorie de la crise, et qui a obstinément refusé tout débat concernant ces sujets.27 Il lui en coûte probablement trop en termes de capacité de réflexion pour pouvoir enfin admettre qu'elle s'est trompée pendant des années (rappelez-vous, par exemple, le très embarrassant pamphlet anti-allemand « La valeur, c'est le théoricien »28). Toutes sortes d'obscurantismes de droite s'engouffrent maintenant dans cette « brèche » avec leurs « interprétations de crise » réactionnaires. Le libéral de droite Markus Krall29, par exemple, dont les propos touchent au délire, estime que l'Allemagne est au bord d'une « dictature éco-socialiste », qui ne pourrait être empêchée que par une « révolution bourgeoise ».30 Ces penseurs réactionnaires de la crise ont en commun de croire que le capitalisme peut se remettre sur pied, entre autres en réformant le système monétaire, par exemple en réintroduisant l’étalon or. L'or est, après tout, « l'ultime assurance contre la crise », selon Max Otte (membre de la « Werteunion31 », organisateur du « Neues Hambacher Fest32 », invité de Ken Jebsen33 et partisan d'une « coalition bourgeoise » avec l'AfD).34 Il est clair que ce discours s'adresse à ceux qui ont des actifs importants et craignent de les perdre du fait du processus de crise. Les classes moyennes prennent peur et transpirent l'extrémisme du centre. Mais le cabinet des horreurs est encore loin d'être complet. Dans ces milieux circule un certain Thorsten Schulte, le « garçon d’argent »35, révisionniste historique de la pire espèce (qui a publié le best-seller « Fremdbestimmt » [hétéronomie]), naturellement un invité de Ken Jebsen, et qui a tenu les propos suivants devant le bâtiment de la Chancellerie fédérale à Berlin le 1er août : « Nous ne pouvons que nous distancer de ce système de gouvernement satanique (!) qui règne dans cette Chancellerie fédérale, et je prie Dieu et Jésus-Christ - et ce n'est pas de la publicité, j'ai un chapelet ici. [...] Jésus-Christ est de notre côté. Et je le dis clairement. Vous êtes tous témoins aujourd'hui du commencement, je le dis très très sérieusement, de l'Apocalypse (!) [...]. Et c'est pourquoi je vous tends cette croix ici, vous, êtres sataniques (!) là-dedans. Nous contribuerons avec l'amour et la voie de Dieu à l'autodétermination [...] Et nous ferons tomber ce système par la voie de l'amour. » Ici, le désir autoritaire qui se déploie depuis longtemps au sein du « tournant décisionniste -autoritaire »36 du postmodernisme se double d'un délire idéologique conspirationniste mêlé à un sulfureux jargon religieux ou religioso-populiste37. Ce type de discours, orné de « piété » missionnaire, correspond à l'image globale de Schulte et de ses semblables ; après tout, « les théoriciens du complot [...] débordent du besoin de communiquer et du zèle missionnaire de persuasion »38. Avec « Q-Anon », une théorie du complot particulièrement bizarre gagne en influence (y compris dans les manifestations allemandes dites « anti-Corona ») et a, par ailleurs, été promue par Donald Trump. Plusieurs candidats républicains au Congrès (on dit qu'il y en a eu une soixantaine) se sont déclarés adeptes de « Q » (Marjorie Taylor Greene a effectivement été élue au Congrès). Selon ce délire conspirationniste, Trump est quelqu'un qui combat l'« État profond », un « réseau d'élites pédophiles » qui torture et tue des enfants enlevés dans des cachots souterrains dans le but de produire à partir d'eux de l'adrénochrome, un dérivé de l'adrénaline qui passe pour un élixir de jeunesse. Le parallèle avec la légende antisémite du meurtre rituel s’impose. Lorsque la démence conspirationniste s'exprime, l'antisémitisme n'est jamais loin, comme l'a démontré une fois de plus la crise du Coronavirus : « Par exemple, environ une personne sur cinq en Angleterre est plus ou moins d'accord avec l'idée que les Juifs ont créé le virus pour faire s'effondrer l'économie et tirer profit de la situation ». On a également pu observer des auto-victimisations antisémites lors des manifestations « anti-Corona » en Allemagne chez les fameux « antivax » qui visiblement s'hallucinaient comme les « Juifs d'aujourd'hui », portant des T-shirts avec une étoile jaune (!) sur laquelle était inscrit : « non vacciné » (!!).39 Il est ainsi évident que les opposants à la vaccination, possédés par leurs affects délirants, ne peuvent en aucun cas fournir de critique des politiques de santé (par exemple dans le sens d'une critique de la réduction des soins médicaux pour « raisons de rentabilité »). C'est ce que montre également le théoricien de la conspiration et antisémite Christoph Hörstel40 (habitué de la manifestation antisémite Al-Quds41 à Berlin), qui parle très sérieusement d’une « idéologie du virus ». Selon lui, les virus seraient le produit de machinations douteuses... Contrairement à ce que peuvent croire leurs adeptes, « les théories du complot [...] n'offrent jamais de contre-projets alternatifs face au sens commun prépondérant d'une société [...] mais se rattachent plutôt de manière opportuniste aux opinions dominantes »,42 qu'elles ne font que reformuler, par exemple en « cherchant » une réponse à la lassante formule « cui bono ? » qui, bien entendu, donne « réponse à tout ». La pandémie du Coronavirus et les mesures prises contre elle sont analysées suivant un schéma identique. Ernst Wolff43, par exemple (invité à plusieurs reprises par Ken Jebsen, orateur à la « conférence anti-censure » conspirationniste d'Ivo Sasek44 en 2019) analyse le confinement ainsi : « Le confinement n'était certainement rien de plus que le prétexte délibérément créé pour ce qui pourrait être le dernier grand sauvetage du système financier existant ».45 Le résultat de cette « subjectivisation de la crise » n'est autre qu'une révolte conformiste. Ces Querdenker sont à mille lieues d’une critique du mouvement de valorisation du capital et de la manière dont il favorise l'émergence et la propagation des pandémies (flux de marchandises interconnectés au niveau mondial, destruction de l'environnement, « système de soins de santé à coût réduit », etc.) Les idéologues conspirationnistes de tout poil ne critiquent pas le capitalisme (ou l'argent, le travail, etc.), mais le naturalisent.46 Qu'ils se présentent comme « alternatifs » ou « critiques » est une très mauvaise blague, à littéralement s'étouffer de rire. Il convient de souligner ici que la « gauche » est loin d'être exempte de délires liés aux théories du complot.47 Ce type de pensée n’a pas seulement cours dans les sectes staliniennes telles que le MLPD48, mais se retrouve également chez divers « critiques du néolibéralisme » de gauche, qui insinuent que le néolibéralisme a été plus ou moins une sorte de coup d'État sournois et pourrait être aboli par une politique « correcte ».49 Cependant, le terme « front transversal » [Querfront], souvent invoqué au sujet de ces « manifestations des Querdenker » et d'autres, soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Si les positions de gauche (extrême), de droite (extrême) et libéral-conservatrices semblent converger, ce n'est pas parce que l'on assiste à des « alliances » entre des camps distincts (contrairement aux « efforts transversaux » de la République de Weimar), mais plutôt parce que le champ de référence catégoriel qui leur est commun atteint des limites historiques, et qu'ils se barbarisent tous dans leur obsolescence. Ou, pour reprendre les mots de Robert Kurz : « Les idéologies de droite, de gauche et libérales, tout comme les positions bourgeoises, petites-bourgeoises et prolétariennes, ne peuvent plus être clairement délimitées. Aucune de ces alternatives apparentes ne peut plus marquer indépendamment un champ historique, aucune ne peut rester en elle-même dans une cohérence intellectuelle. Le pragmatisme et l'éclectisme exténués qui se répandent dans tous les camps, qui d'ailleurs n'en sont plus, trahissent l'impuissance pure et simple face à l'évolution sociale mondiale impossible à appréhender par les écoles de pensée et les schémas d'interprétation jusqu'alors en usage. Cette impuissance commune, qui fait s'effondrer toute distinction claire des contenus théoriques et politiques, indique le déclin du cadre de référence historique commun ».50 On peut donc parler d'une paralysie de la conscience. Une société incapable d’établir une distance critique par rapport à elle-même, et dont les sujets, dénués de toute réflexion critique, imaginent le capitalisme comme une fatalité inéluctable, favorise des « interprétations du monde » insensées ou anachroniques de toutes sortes. La démence du complot, qui prend de plus en plus d'ampleur, complète la paralysie. La « sensibilité » aux théories de la conspiration [...] augmente manifestement à chaque fois que s'impose l'idée qu'il n'y a plus aucune chance de façonner la vie de manière indépendante et autodéterminée et qu'au contraire, seules des puissances anonymes règnent et opèrent en secret. Dans de telles situations de pression apparemment désespérées, qui peuvent être causées, par exemple, par le déclin social et une détérioration drastique de la situation économique, les théories du complot ouvrent une voie royale fallacieuse pour l'interprétation des rapports les plus compliqués et donnent le sentiment sécurisant de savoir enfin ce qui se passe autour et vis-à-vis de soi [...] ».51 Il est clair qu'il ne suffit jamais de contrer les théories du complot et leurs adeptes avec des arguments et des faits, comme cela est parfois tenté. Il faut souligner qu'une critique de la complotomanie reste insuffisante, voire fausse, si on lui oppose une raison instrumentale qui s'avère être la « raison immanente » du mode de production et de vie capitaliste, lui-même profondément irrationnel. Plus les « stratégies de gestion de crise » sont infondées et désespérées, moins la manie du complot et la « raison bourgeoise » (ou ses dérivés barbarisés) sont susceptibles de diverger. Cela est d'autant plus vrai que la « normalité » ne peut plus être maintenue ou simulée. L'élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis n’y changera rien. Au contraire, il faut compter sur une nouvelle intensification des contradictions sociales. On peut s'attendre à la même chose venant des « schèmes de réaction » autoritaires de l'État dit « de droit ». L’« exercice » de l'état d'urgence pendant l’épidémie du Coronavirus portera ses fruits bien assez tôt. Il demeure nécessaire, en ces temps de barbarisation de la conscience, de conceptualiser adéquatement les conditions sociales. Pour que cela reste possible à l'avenir, nous vous demandons de continuer cette année à nous soutenir par des dons. Les textes publiés dans ce numéro d'exit ! documentent notre contribution à cet égard. Le texte « La fin de l'Occident dans la crise du Coronavirus » de Tomasz Konicz retrace, sur fond du processus historique de crise alors que la borne interne du capital commence à être atteinte, les bouleversements de l'hégémonie américaine, ainsi que son érosion graduelle au sein du système d'alliance occidental en voie de désintégration. Partant de la transformation de la base économique de la position hégémonique de Washington qui a eu lieu il y a une bonne quarantaine d'années, déclenchée par la fin du boom fordiste de l'après-guerre et par la période de stagflation qui a suivi, ainsi que par la modification du rôle de la machine militaire américaine après la fin de la « guerre froide » contre le socialisme d'État qui s'est effondré en 1989, l'accent est mis sur le rôle central des cycles de déficit mondial, y compris la financiarisation du capitalisme, dans le maintien de l'hégémonie américaine jusqu'en 2008. Avec la poussée de la crise de 2008, cependant - selon la thèse centrale du texte - la concurrence de crise s'est également affirmée au sein de l'Occident, de sorte que c'est précisément le nationalisme économique de l'administration Trump qui a accéléré la désintégration de l'Occident et l'effondrement final de l'hégémonie américaine. Par conséquent, un retour au statu quo ante Trump n'est plus possible. Le processus historique de crise aurait tellement progressé, alimenté notamment par la crise du Coronavirus, que toute tentative des centres occidentaux pour rétablir la « stabilité » s’avérerait futile. L'objectif du texte « La croissance et la crise de l'économie brésilienne au XXIème siècle en tant que crise de la société du travail : bulle financière, capital fictif et critique de la valeur-dissociation52 » de Fábio Pitta est de relier les phénomènes de croissance économique au Brésil à partir de 2003 jusqu’à la crise économique après 2012/2013 à l'économie de bulle financière alimentée par le capital fictif comme moment de reproduction globale du capitalisme contemporain dans sa crise fondamentale. Le texte part d'une critique des auteurs brésiliens qui analysent la crise uniquement en termes de « retard » du Brésil. Une bulle sur les marchés financiers des produits dérivés des matières premières, qui a entraîné une hausse importante des prix, a fait grimper les exportations brésiliennes ainsi que la dette du pays. Cela a permis une concurrence pour la dette entre les entreprises de ce que l'on appelle « l'économie réelle », entraînant une accélération du développement des forces productives, une augmentation de la composition organique du capital et un évincement du travail vivant des processus de production - cela se produit au Brésil depuis les années 1970, mais s'est récemment intensifié. Ces processus n'ont pu durer que jusqu'à l'éclatement de la bulle des matières premières entre 2011 et 2014, conséquence de l'éclatement de la bulle financière mondiale en 2008, qui dans ce texte, à partir de Robert Kurz, est compris selon les déterminations du capital fictif et de l'accumulation simulée. Depuis 2012, le Brésil connaît une dette publique et privée élevée, un chômage de masse, des faillites d'entreprises généralisées, une instabilité politique et la montée du radicalisme de droite, qui a exacerbé la sauvagerie sociale et la violence à l'égard des femmes, des Noirs, des populations autochtones et des travailleurs ruraux. Le texte défend enfin la nécessité de la critique radicale de la valeur-dissociation qui, dans sa critique du capital, de la marchandise et du travail, vise l'abolition de cette médiation sociale. Le texte de Thomas Meyer est une nouvelle contribution à la série d'articles « Alternatives au capitalisme - Bilan ».53 Dans ce texte, le mouvement de la décroissance et les communs sont passés au crible. Il devient clair que ces prétendues alternatives au capitalisme sont non seulement éloignées d'une critique catégorielle, mais sont également compatibles avec une gestion de crise répressive. Avec des concepts tels que la « monnaie locale », on a recours à des substituts du marché et de l'État afin de prolonger un capitalisme zombie. La nécessité de remettre en question le capitalisme de manière « pratique » serait plus grande aujourd'hui que jamais, par exemple en remettant en question la « finançabilité », mais les mouvements de décroissance et des communs n'offrent pas beaucoup plus qu'une « alternative » au milieu de la misère sociale de la crise ; des points cruciaux, comme la question de la synthèse sociale, ne sont pas abordés. À la suite de la republication du texte de Robert Kurz sur le délire automobile dans le dernier numéro d'exit !, l'article de Thomas Koch « Sur l'actualité de "la voie ouverte au chaos de crise" de Robert Kurz », examine les développements plus récents et devenus plus pointus de l'automobilisme, notamment sur fond de catastrophe climatique et de mouvements écologistes. Quelles sont les options que recèlent les « visions du futur » de la mobilité électrique ou de la conduite autonome et les solutions technologiques face à la perte de contrôle globale liée aux mots-clés « Coronavirus » et « climat » ? Les développements qui ont eu lieu avec le fameux scandale des émissions et sa projection sur une gestion très éloignée de la réalité dans la patrie de l'automobilisme font également l'objet d'une réflexion critique. Dans sa contribution, Andreas Urban aborde les aspects culturels-symboliques de la « barbarisation du patriarcat » (Roswitha Scholz). Il se base principalement sur les divers changements socialement très discutés quant aux rapports de genres, en particulier les tendances postmodernes à l'assouplissement des normes et des identités de genre. Au cours des dernières décennies, on a par exemple assisté à une normalisation croissante des carrières professionnelles féminines et à une progression des femmes vers des postes à responsabilité de premier plan, notamment économiques et politiques. Ce contexte comprend également des mesures politiques en faveur de l'égalité des hommes et des femmes (quotas de femmes, etc.). D'autre part, les hommes font l’expérience, entre autres en raison de ces développements dans le domaine du rapport de genre, mais aussi en raison des perturbations croissantes sur le marché du travail, d’atteintes sensibles à leur position hégémonique historiquement constituée et donc aussi à leur identité masculine - des tendances qui ont récemment été discutées dans le sens d'une « crise de la masculinité ». Au cœur de cette contribution se trouve la thèse selon laquelle, contrairement aux évaluations (féministes) courantes, de tels changements ne peuvent être considérés comme des indications d'un adoucissement croissant ou même d'un dépassement des structures patriarcales et androcentriques historiquement constituées, mais plutôt comme des indications de leur barbarisation successive dans la crise fondamentale du capitalisme et du rapport sous-jacent de la valeur-dissociation. Ceci est particulièrement évident dans le fait que les hiérarchies de genre continuent à être reproduites presque sans discontinuité, à la fois sur les plans matériel et symbolique, bien que partiellement sous des formes différentes. Dans une recension, Roswitha Scholz critique le manifeste «Féminisme pour les 99%54 » publié en 2019. Elle montre que les auteures de ce texte sont loin de fournir une critique radicale du patriarcat producteur de marchandises, car elles restent coincées dans l'horizon d'un marxisme de la lutte des classes depuis longtemps révolu et anachronique. L'essai de 1993 « La démocratie dévore ses enfants »55 de Robert Kurz a été publié en portugais56 préfacé par Roswitha Scholz.57 En français, une nouvelle édition du Guy Debord d’Anselm Jappe58 a été publiée, ainsi que les deuxième et troisième numéros de Jaggernaut - Crise et critique de la société capitaliste-patriarcale59, avec des textes, entre autres, de Claus-Peter Ortlieb ; de Robert Kurz : L'industrie culturelle au XXIe siècle - De l'actualité du concept d'Adorno et Horkheimer60; en outre, une anthologie sur la crise du Coronavirus : De virus illustribus - Crise du coronavirus et épuisement structurel du capitalisme61. Ce volume montre que la nouvelle crise économique mondiale n'est pas une conséquence du virus, mais avait commencé bien avant. Il examine les difficultés du redémarrage du capitalisme, ainsi que les hésitations des États entre « sauver l'économie » et « sauver les populations » et décrit les conséquences spécifiques, notamment du point de vue de la critique de la valeur-dissociation, dans un pays comme le Brésil. Les nouvelles techniques de surveillance sont analysées et la question est posée de savoir si au moins la conscience écologique peut profiter de cette crise. Le livre Béton - Arme de construction massive du capitalisme d'Anselm Jappe62 examine le rôle du béton, qui fait l'objet de beaucoup moins de critiques que d'autres matériaux utilisés massivement comme le plastique ou le pétrole. Après le résumé de son histoire et de ses conséquences, il est montré que ce matériau peut être considéré comme le côté « concret » de l'abstraction de la valeur : la « gélification » de la valeur mentionnée par Marx se matérialise dans le béton toujours pareil à lui-même, quantité sans qualité, qui a nivelé la diversité de la construction dans le monde au profit d'une architecture monotone basée sur le béton. Le Schmetterling-Verlag a publié le livre de Tomasz Konicz : Le capital, assassin du climat - Comment un système économique détruit les fondements de la vie63. Thomas Meyer pour la rédaction d'exit !, novembre 2020. Traduit de l'allemand par Johannes Vogele.
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